Revue Question de
C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche.
Pierre Soulages
Question de
Compléments d’enquête
Question de N°1
Thème : Spiritualités
Ouverture sur la méditation dans la bible

Ouverture sur la méditation dans la bible

Auteur question de Marie-Madeleine Davy

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Le terme de méditation appartient aux diverses traditions d’Orient et d’Occident, aux écoles monastiques et profanes, à la musique et à la littérature. Pourvu d’un sens général, comportant le plus souvent la prière mentale et l’intériorisation, la méditation s’inscrit dans un ordre universel.

La méditation dans l’ancien et le nouveau testament

Dans le christianisme, l’Ecriture sainte se situe à la base de la méditation. Toutefois, il n’est pas aisé d’en relever dans la Bible la forme exacte. Les écoles rabbiniques mettront l’accent sur le rôle de la mémoire. Se remémorer constamment la Parole divine est une façon de s’orienter vers elle et de la faire passer dans l’existence. Toutefois, il ne suffit pas de la répéter, il importe de l’“intelliger”, c’est-à-dire de la scruter en découvrant l’esprit sous la lettre. Dépassant les coques protectrices, l’approche des mystères se réalise.

A l’égard de la méditation, l’Ancien Testament apparait plus fécond que le Nouveau. En se rattachant à la racine haga, méditer signifie “murmurer à mi-voix". Ce murmure, émanant du larynx, ne se rapporte pas uniquement à l’homme ; indifférencié, il ne saurait comporter nécessairement un contenu religieux. Comme le font observer Emmanuel Von Severus et Aime Solignac, ce murmure peut s’appliquer aux cris de certains animaux, tels le rugissement du lion (Isaïe 31, 4), le pépiement de l’hirondelle, le roucoulement de la colombe (Id 38, 14), le grognement de l’ours. “Murmure”, employé aussi à propos des impies, signifie leur hostilité à l’égard de l’Eternel. Toutefois cette interprétation ne sera guère maintenue, et l’évolution du terme s’accomplira dans un sens de plus en plus religieux.

Avec Josué (1, 8), la méditation se spiritualise. L’homme est invité à conserver sur ses lèvres le contenu de la loi en s’adonnant nuit et jour à la méditation. Sa vie deviendra une perpétuelle conversion ; il ne cesse de tourner sa face vers la lumière divine. La méditation informe l’existence humaine, animant à la fois sa veille et son sommeil. Avec Isaïe (33, 18), elle peut atteindre un niveau plus élevé, la méditation passe du larynx au coeur. Désormais, elle concerne uniquement l’homme et devient “murmure du coeur". Le psalmiste invite à la méditation de la justice et de la sagesse. Méditer la sagesse convient au juste, à celui dont l’esprit est droit et non courbe (cf. Ps. 19, 15 ; 37, 30, etc.). Pour certains psaumes (77, 13 ; 143, 5), le coeur n’est pas appelé à méditer seulement sur la justice et la sagesse ; il lui convient d’atteindre les merveilles de Dieu.

Ainsi la méditation permet d’accéder à une nouveauté de vie dans laquelle l’allégresse prend sa place. Note de joie qu’on ne saurait mésestimer. Celle-ci s’étend et résonne sur un immense clavier. Elle va de la considération de l’Eternel à son oeuvre. La beauté divine ne saurait se séparer de la beauté cosmique. Le reflet témoigne de sa source. Double trajet d’aller et de retour, allant de Dieu à la création, et de la création à Dieu. La méditation s’inscrit dans ce mouvement faisant du méditant un théophore apportant au cosmos sa transfiguration. D’où l’intégration du macrocosme par le microcosme humain. Au sixième Jour, lorsque l’homme apparait, la création lui est confiée, il en devient le roi et l’ordonnateur. Il la régénère et l’oriente. Certes, il ne supprime pas les différences. Sa mission consiste dans l’accord des sons, des voies, en faisant saisir l’au-delà de la pluralité en une convergence subtile. Le méditant porte la mouvance de la création dans une ampleur échappant à la mobilité. Rien n’est sacré en dehors de Dieu, mais tout se sacralise.

Dans le Nouveau Testament, l’emploi du terme méditation s’avère très rare. On le retrouve principalement chez Luc (21, 14) et dans les Actes reprenant le texte d’un psaume (2, 1). Toutefois il convient de remarquer une extension du sens apporté à la méditation avec l’ épitre 1 de Tim. 4, 15. Paul recommande à Timothée de ne pas négliger en lui la grâce qui lui a été conférée par l’action prophétique lorsque l’assemblée des anciens lui a imposé les mains. “Médite ces choses sois-y présent tout entier, afin que tes progrès soit évidents pour tous. Veille sur toi-même et sur ton enseignement... en agissant ainsi, tu te sauveras toi-même, et tu sauveras ceux qui t’écoutent.”

Les effets de la méditation revêtent un caractère lié a la vie contemplative, le bien se diffuse de lui-même au-delà de la présence physique. A cet égard, la méditation la plus parfaite trouve un modèle en la personne de la mère divine. Celle-ci, au dire de Luc (2, 19, 51), “médite dans son coeur’ ’. Dans ce sens précis, la mère du Christ devient le modèle des méditants. Il ne s’agit pas nécessairement de discourir, d’enseigner mais de se tenir dans son coeur en conservant d’une façon vivante les paroles divines et aussi les évènements à la fois historiques et intériorisés qui s’accompagnent mutuellement.

Peu à peu la méditation devient une louange perpétuelle jaillissant du coeur de l’homme, telle une source qui naturellement s’écoule. Elle comporte un caractère universel englobant aussi bien le minéral que le végétal, le monde animal et l’homme lui-même. L’histoire apparait sanctifiée par les interventions divines. La littérature sapientielle, appartenant à l’Ancien Testament, y fait constamment allusion. L’unité, qui déjà s’esquisse, s’amplifie avec les auteurs médiévaux.

La méditation dans le monachisme médieval

Dans le monachisme, la méditation culmine. Elle s’inspire de la Bible, des Pères et aussi des auteurs classiques grecs et latins. Les moines du Moyen Age, étant pour la plupart de fins lettrés, possédaient une ample connaissance de l’Antiquité. Ils s’y referaient volontiers dans leurs traités. Même les anti-intellectualistes, qui s’élevaient avec véhémence contre l’enseignement profane, citaient abondamment les sages. Loin d’être renié, le paganisme était en quelque sorte consciemment sanctifié en s’intégrant dans le christianisme qui devait s’étendre à tous les savoirs, à toutes les connaissances. Il convient à cet égard de rappeler l’importance des bibliothèques monastiques contenant à la fois un héritage religieux et profane.

La méditation va ainsi constamment s’enrichir. La Parole divine exprimée dans l’ancienne et la nouvelle alliance, sera éclairée par la patristique, les traditions issues des monastères égyptiens, des Pères du Désert, de toutes les expériences religieuses et profanes. De ce fait, la méditation n’est pas l’objet d’un dire, d’un discours, d’un enseignement, elle devient expérience. En étant expérimentée, elle passe dans la vie. On ne saurait trop insister sur la valeur de l’expérience. Les bénédictins, et surtout les chartreux et cisterciens, appartenant aux nouvelles fondations, vivaient ce qu’ils tentaient de décrire. C’est pourquoi leurs traités nous atteignent en profondeur.

L’apport hellénique, issu des Pères grecs, introduit dans la méditation une direction neuve. A travers le mouvement issu du platonisme, le primat sera donné au monde des intelligibles ; d’ou une certaine dégradation du monde sensible. Le premier est réel, le second éphémère car semblable à une ombre. D’où la tendance à le minimiser. Toutefois, l’actualisation du Christ, revêtant la chair humaine par l’incarnation, exigera de corriger l’opposition entre l’intelligible et le sensible. C’est toujours la Parole divine qui se situe à la base de la méditation, mais le Christ est envisagé comme la Parole faite chair Jean 1, 14). Le Christ dans son humanité et aussi considéré comme Verbe ; il devient un des sujets préférés du méditant.

La journée du moine, on pourrait dire sa veille, s’inscrit et se déroule au sein de la liturgie. Même la nuit, son sommeil est interrompu par l’office. La récitation des “heures” ponctue la vie monastique. La psalmodie engendre un climat dans lequel l’existence se déroule suivant les fêtes du Christ, de la Vierge et des saints. Cette perpétuelle festivité, s’exprimant dans un esprit de louange, invite le cosmos à s’associer aux relations établies entre le temps et l’éternité.

Pousse vers Dieu des cris de joie, terre entière !
Chantez la gloire de son nom.
Venez et contemplez les oeuvres de Dieu ! (Ps. 66, 1-2, 5)

Plus la vie contemplative s’oriente vers la contemplation, plus la liturgie se manifeste au-dehors et au-dedans. Extériorisée tout d’abord, la liturgie s’intériorise en unifiant l’extérieur et l’intérieur. La récitation des psaumes, des hymnes, des antiennes, les leçons des Matines se présentent comme un langage de perpétuelle communication et communion.

L’ignorant pourrait s’étonner et croire que ce flot de paroles brise le silence et la solitude et de ce fait défavorise la méditation. Il n’en est rien. Bien au contraire, la répétition des mots qui s’adressent à Dieu lance des ponts vers lui et maintient “la conversation dans les cieux" au sens de l’apôtre Paul. La méditation, devenant connaturelle, s’éleve, telle la fumée d’un encens, du feu du coeur auquel l’être entier participe. Il est demandé à Dieu d’ouvrir les lèvres, le coeur et de recevoir, comme un don, l’intelligence de la Parole divine sans cesse répétée.

De la récitation des psaumes naît la méditation. Elle lui sert de point de départ et de support. Ensuite elle la nourrit. On pourrait la comparer à de la paille jetée constamment dans le feu, à de l’huile versée continuellement dans une lampe afin d’en entretenir la flamme. Ainsi la méditation s’alimente d’un état qui lui permet de se manifester d’une façon immédiate et sans effort.

“Ecoute ma voix’’, demande le moine avec le palmiste (119, 147-148), en s’adressant à l’Eternel ; je devance l’aurore et je crie [vers toi]. Ainsi le moine n’attend pas d’éprouver la douceur de la lumière et sa plénitude, il exprime son amour dans la nuit qui devance l’aube, en dépit de l’obscurité du dedans qui peut drainer angoisse, inquiétude et perturbations multiples.
En se reliant à l’office, à la lectio divina, la méditation peut comporter un échange verbal, sorte de dialogue secret, mais elle est principalement rumination, sorte de mastication continuelle de la parole divine.

En effet, le moine méditant devient un ruminant. La rumination s‘origine aux animaux purs et impurs dont il est parlé dans le Lévitique (11, 3) et le Deutéronome (14, 6). Le texte du Lévitique se consacre à la “loi de pureté" concernant la nourriture. Seuls les animaux possédant des cornes divisées, des pieds fourchus et qui ruminent sont jugés comestibles. La même rigueur est affirmée dans le Deutéronome. La rumination appartient aussi à l’homme. Dans ce sens la Parole divine devient aliment, nourriture non pas du corps mais de l’âme : manducation spirituelle.

A cet égard, un texte d’Augustin apparait significatif : “Lorsque tu écoutes ou lis, tu manges ; lorsque tu médites ce que tu viens d’entendre ou de lire, tu rumines afin d’être un animal pur et non impur” (Enarratio in Ps. 56, sermo 3, 5). Scruter la parole divine, l’intelliger, la repasser constamment dans sa mémoire, la mâcher, la remâcher, tel est le sens de la méditation. Ruminer signifie un balancement, une répétition, un bercement, donc un va-et-vient, un savourement, une délectation.

Le moine n’est pas convié à méditer uniquement dans une église ou dans sa cellule. Aucun lieu n’est assigné pour s’adonner à la méditation. Tel Isaac, quittant sa maison pour méditer dans les champs, le cistercien moine-paysan médite en remplissant les charges auxquelles le travail manuel l’assigne : il est terrassier, bucheron, défriche la terre, la laboure, l’ensemence et récolte les moissons. Scripteur, écrivain ou copiant des manuscrits, le méditant chartreux et cistercien poursuit son état de méditant. Celui-ci lui procure un discernement prudentiel et une souveraine liberté. Son incarnation s’affirme en tant que présence à l’instant qui s’écoule. Il est attentif au bien-faire, au bien-dire que son silence anime.

Il arrive un moment où la méditation se jumelle à la prière. Auparavant elles se distinguent l’une de l’autre. Il suffit de consulter une concordance biblique pour se rendre compte du petit nombre de textes concernant la méditation, tandis que les citations apparaissent nombreuses à propos de la prière. Les traités médiévaux se montrent parfois fidèles à une telle séparation. Toutefois les écrivains mélangent le plus souvent, prière et méditation du seul fait que la prière devient un état se déployant en une continuelle méditation. Il serait vain de tenter de les distinguer l’une et l’autre, elles s’imbriquent naturellement.

Office, prière individuelle, méditation se relient intimement pour former une atmosphère, un climat fertilisant le lieu des racines dans lequel le moine tire sa sève. D’une façon plus ou moins lente ou rapide, les mauvaises herbes se consument, les obstacles s’effritent. Le moine abandonne tout désir, préoccupation, souci. Les évocations charnelles s’estompent, le mental rejette son encombrement, l’agitation intérieure et extérieure cesse au profit d’un état paisible. Dorénavant, le moine prend sa nourriture à l’intérieur même de la dimension divine. Devenant un artiste, un créateur, l’inspiration le visite, des intuitions fulgurantes le traversent. En raison de sa transparence, il est vu de Dieu. C’est-à-dire que l’Eternel voit en l’homme sa propre lumière.

L’attention du moine s’étend sur la présence qui l’habite. Il ne cherche plus au-dehors ce qu’il contient en lui-même. Son labeur consiste à ne pas détourner son regard de cette présence. En habitant avec lui-même, il habite en Dieu. Tout devient silence. Le murmure peut se poursuivre, il s’établit avec son accord mais indépendamment d’une volonté soutenue. En quelque sorte ce murmure se fait “sans lui”.

Le repos en Dieu, auquel le moine aspire, est toujours représenté comme l’effet d’un très dur travail. La vacance en Dieu consiste à demeurer présent à Dieu et à soi-même. Pour arriver à cette double présence, le moine s’adonne à l’étude des lettres divines et humaines, à la prière, à la méditation. Vaquer à l’oraison ou vaquer à Dieu sont synonymes et la méditation s’insère dans la prière. D’où, selon l’expression de Pierre Damien, l’entrée dans un double sabbat ! “Dieu devient le sabbat de l’homme, celui-ci le sabbat de Dieu.” L’accomplissement du précepte formulé dans l’évangile de jean (15, 4) “Demeurez en moi, moi en vous” se présente comme le fruit de la prière méditative.

La vie devenant un état de prière et de méditation continuelle s’apprend. Tout s’éduque dans l’homme, ses sens extérieurs et intérieurs. C’est pourquoi la préparation sera longue. Avant la transformation de l’existence en oraison, il sera nécessaire de fixer un horaire, de scinder la journée en des temps consacrés à la prière, à la méditation. La modestie permet de recourir à une observance convenant aux débutants. Or l’humilité fait partie des choix de la vie monastique. Comme le dit Grégoire de Nysse, l’homme va de commencements en commencements. D’après les écrits des moines du Moyen Age, la vanité et l’orgueil guettent le progressant et ceux qui s’approchent de la perfection. Les pièges d’abord grossiers deviennent difficiles à distinguer en raison de leur subtilité. Dans ce sens, l’état méditatif s’apparente à une constante vigilance du coeur et de l’esprit. La conscience s’affine et devient de plus en plus prégnante dans l’exercice de son discernement.

Mais la méditation ne convient pas seulement aux moines de l’époque médiévale. Elle s’applique à tous les hommes et à toutes les époques.

Méditation et existence

La méditation n’a de sens que dans la mesure où elle passe dans l’existence et l’anime ; sinon elle apparait totalement inutile, superflue, voire dérisoire.

Il faut bien le constater, car cette réalité s’impose. La méditation, même quotidienne, risque d’être privée d’impact sur la vie. Consacrer chaque jour une demi-heure à la méditation engendre une bonne conscience sans avoir nécessairement des conséquences bénéfiques. Ainsi le méditant peut, durant un temps plus ou moins bref, atteindre un calme qui disparaîtra ensuite. Paix superficielle qui n’émane pas de la profondeur de l’être et qui, par conséquent, s’avère totalement superflue. Supposons un promeneur traversant chaque jour un pont donnant accès à une île ; il le franchit de nouveau lors de son retour. Sorte de coupure transitoire ne comportant aucun effet. Il en est ainsi de la méditation prise en sandwich entre deux tranches de vie. On pourrait encore choisir l’exemple d’un chapeau posé sur la tête et ensuite enlevé. Le couvre-chef a été conservé durant un laps de temps, sans modifier l’existence de son porteur. Parfois il en est ainsi de la méditation, elle n’affecte pas le sujet ; elle glisse sur lui, telle l’eau de pluie sur une vitre. La bonne conscience, à laquelle il a été fait précédemment allusion, permet au sujet de se prendre au sérieux. En se distinguant d’un autrui qui ne s’adonne pas à la méditation, il se situe à part du fait d’une certaine performance, non seulement relative mais strictement inutile.

Le contenant et le contenu possèdent leur importance. Le contenant semblable à un vase percé ne peut rien retenir. La capacité du vase possède sa valeur, elle se dilate normalement. Non seulement il importe que le contenant ne laisse rien s’écouler par des fissures, mais qu’il soit auparavant vide afin de recevoir. Un mental encombre, une attitude d’inimitié envers autrui et aussi d’esclavage a l’égard des diverses passions, rend la méditation insolite. Elle n’est pas comparable à un médicament dont les effets sont immédiats ou lents. Pour être efficace, la méditation exige un avant et un après, une intégration acceptée dans l’instant et durablement consentie. Une vie dissolue, pervertie par le mensonge, n’est point corrigée par la méditation, cette dernière n’est pas un tuteur permettant de pousser droit en redressant des courbures.

En d’autres termes, l’existence s’étalant à l’horizontale, sans option pour la verticale, n’a que faire de la méditation. Naturellement il est possible de discourir, de préciser les techniques et les méthodes de méditation, d’être pourvu d’un savoir abstrait et de retenir autour de soi des ignorants incapables de discerner le dire de l’expérience. Il est vrai que le fait de parler et d’écrire appartient au psychisme. Celui qui sait n’éprouve plus le besoin de la communication verbale, il comprend que l’efficacité jaillit spontanément de la qualité de l’être qui se laisse traverser par les énergies divines. S’exprimer par le dire ou l’écriture est souvent une manière d’alimenter son ego et de le répandre.

A quel Absolu le méditant se réfère-t-il ? S’agit-il d’un dieu-idole qu’il élabore ? Le vrai Dieu exige la conversion du coeur. Celle-ci oblige à ne jamais enseigner ce qu’on ne pratique pas soi-même ; d’avouer ce qu’on ignore. ll convient aussi de ne pas se poser en maitre en acceptant des disciples et en les recherchant. La méditation n’est pas un luxe, elle s’intègre dans l’existence à la condition de récuser le jeu, l’hypocrisie, la forfaiture.

En raison de la diversité des vocations et des charismes qu’elles comportent, l’important consiste à s’accepter sans la moindre illusion. Le véritable méditant ne cesse de se quitter lui-même en pénétrant dans un état de vacance permettant à la méditation d’investir sa vie. Sans doute convient-il d’avoir la simplicité de procéder suivant son propre état, quitte à modifier sans cesse son comportement. A condition toutefois de ne pas s’attacher aux fluctuations inévitables, aux normales perturbations ou encore à ce qu’on risque de prendre pour des progrès ou des reculs. Ne pas s’intéresser à sa mobilité passagère, à sa mouvance, à son salut, accepter de perpétuels recommencements avec une souriante patience, font partie de l’éducation du méditant.

Ainsi les techniques employées par le méditant peuvent varier au cours de son apprentissage. Se lier définitivement à une forme deviendrait une erreur. L’esclavage subtil consiste en un emprisonnement, même si on éprouve l’impression d’être libre. Ce n’est pas la durée de la méditation qui importe, mais son intensité. Certes, la préparation s’impose. Celui qui n’a pas l’habitude de méditer exige préalablement une mise en état qui peut s’opérer lentement. Si l’existence n’est pas orientée continuellement vers l’essentiel, rien ne sera jamais atteint. Lorsque les sens intérieurs s’animent, le méditant culbute dans le monde invisible, les racines qui l’alimentent changent de terreau ; il n’est pas enfermé dans la méditation : l’état de méditation est en lui. A cet instant, peu importe les formes de méditations auxquelles il a recours. Alors la méditation devient opérante, elle transforme l’existence et la métamorphose.

Nous savons tous, mais il est parfois nécessaire de le rappeler, que les techniques de méditation ne sont que des auxiliaires. Leur conférer une importance trop grande s’avèrerait enfantin ; les mépriser prouverait une ignorance. Il convient donc de s’en servir en toute liberté. Encore une fois, il en est de la méditation comme de la prière. Certains éprouvent la nécessité d’utiliser des formules ; dans ce cas qu’ils en fassent usage. Pour d’autres, de tels emplois apparaîtraient pesants ; que ceux-ci opèrent dans l’ordre de l’esprit.

La méditation engendre un état de dépassement de la finitude humaine. Révélatrice de l’image divine, dont tout homme est porteur, elle en décèle à la fois la dissimilitude et la ressemblance. Voie orientée vers une vie nouvelle, elle en détermine les mutations. Recevant le “souffle de vie", elle achemine vers l’éternité avant le départ de la manifestation, car elle permet de prendre conscience d’un “ailleurs” en s’orientant vers lui. En tant que facteur permanent arrachant aux distractions et aux pensées vaines, le méditant s’approche de l’unité ; en unifiant le dedans au dehors, l’intelligible au sensible, il oeuvre pour l’unification des différentes aventures humaines orientées vers la libération.


Ce texte est extrait du numéro 67 de la revue Question de parue en 1986 et aujourd’hui épuisée.

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