Il est de tradition de dire que le plus fertile des voyages s’effectue toujours en soi-même. À condition que ce soi ne cache pas celui des autres, que cette visite au cœur de l’être abolisse les miroirs de la complaisance au lieu de les multiplier.
C’est cela qui, à mon sens, différencie la méditation des autres formes de rencontre avec soi-même, telles que l’introspection ou l’auto-analyse ; elle est parfois un isolement mais jamais une isolation, elle doit rendre poreux au monde et à autrui au lieu d’étendre autour de soi un écran de mutisme et d’enfermement. En écrivant ces mots, il me revint une phrase d’un moine byzantin dont je ne sais plus le nom , un moine - poète donc, qui dit que « Dieu est une parole à l’extrémité du silence ».
J’ai toujours été impressionné par cette phrase car elle dit bien, elle éclaire bien le cheminement de la méditation, lorsque celle-ci est réussie : percevoir, grâce au silence, les bruits de l’éveil, les rumeurs de la conscience et même l’envers des bruits, des rumeurs et des sons qu’est toute voix ou parole ordonnée, essentielle. Méditer, ne serait-ce pas veiller au centre d’une toile non pour y capturer des proies – j’entends par là acquérir un pseudo-détachement ou des pouvoirs dérisoires – mais pour ressentir au contraire tout ce à quoi nous sommes reliés ? Rejoindre ce qui nous était, nous est extérieur, imposé ?
Je n’ai pas choisi de vivre dans ce siècle et c’est pourquoi je l’aime. Je n’ai pas choisi ceux que le hasard me fait rencontrer chaque jour, c’est pourquoi je leur porte attention. Et puis, quitte à méditer aujourd’hui, les grottes se faisant rares et le silence aussi, autant le faire là où nous sommes, au milieu des autres, avec eux parfois, à sa fenêtre ou dans la rue. Pourquoi la méditation aurait-elle besoin de lieux particuliers ? Elle n’est pas pour moi une voie à part, marginale, mais une voie que rien en apparence ne distingue des voies profanes. On peut méditer en marchant autant qu’en restant immobile, on peut méditer en se rendant à son travail comme à sa liberté. Tout comme ouvrir ses yeux en grand la nuit, pendant des heures, la rend éblouissante.
La méditation n’a pas besoin d’aucune référence, d’aucun exemple – surtout si notre tête en est pleine. N’étant pas une voie intellectuelle, mais mentale, elle n’a que faire des citations. On ne médite pas à travers les autres, ni à travers les textes des autres. (Je suis d’ailleurs le premier à donner le mauvais exemple puisque j’ai cité moi-même un texte/souvenir.) Non, ce n’est pas une voie intellectuelle, elle ne peut donc abolir le sensible en nous. Je dirais au contraire qu’elle peut nous rendre hypersensible au caché, à l’invisible, à l’inaudible. Multiplier nos sens et par là notre fraternité au monde. Bien méditer, c’est se sentir, à un certain moment (et si faible que soit la durée de ce sentiment), contemporain du grand silence qui précéda notre naissance.
Ce texte est extrait du numéro 67 de la revue Question de parue en 1986 et aujourd’hui épuisée.
Jean-Christophe Seznec
Alexandre Jollien
Alice Miller